Un siècle de pénitence
Du XVIème au XVIIIème siècle d’âpres combats se déroulèrent entre Anglais, Hollandais, Portugais et Français, avant que les limites de la Guyane française soient définitivement fixées en 1817. Après les grands travaux de sécurisation dans Paris, menés par le baron Haussmann, le prince président Louis Napoléon Bonaparte donna son accord à l’exil des condamnés aux travaux forcés, voyant en cela une peine « plus efficace, moralisatrice et humaine si elle était utilisée aux progrès de la colonisation française ». Le décret de 1852, puis la loi de 1854 officialisèrent la « transportation ». Cette loi s’appuyait sur trois axes : l’utilisation de la main d’œuvre pénale pour les travaux d’utilité publique, l’envoi de femmes permettant la création de familles et la possibilité d’obtenir des « concessions agricoles » en fin de peine.
L’afflux de la population pénitentiaire fut tel que jusqu’en 1867 des camps fleurissaient un peu au hasard: Saint-Georges sur l’Oyapock (1853-1860), La Montagne d’Argent (1853-1864), La Comté (1854-1859), Sainte-Marie (1854-1863), Saint-Augustin (1854-1860), Saint-Philippe (1856-1857), Saint-Louis (1855-1864). Les bagnards étaient aussi bien des condamnés de droit commun, les « transportés », que des politiques, les « déportés ». Les premiers, selon leur dossier, restaient à Saint-Laurent du Maroni, ou pouvaient être envoyés vers les îles du Salut ou les camps forestiers comme Charvein pour les plus mal notés. Les seconds étaient internés soit à Cayenne, soit à l’île du Diable comme le fut le capitaine Dreyfus, de 1895 à 1899. Une fois sa peine achevée, le forçat devait effectuer le « doublage », c’est-à-dire, l’obligation de passer un temps identique à sa condamnation sur le sol guyanais après sa libération si la peine était inférieure à 7 ans et à vie, si la peine dépassait 8 ans. La difficulté à trouver du travail était alors telle que l’on disait volontiers : « le bagne commence à la libération » . De 1867 à 1887, du fait d’un taux de mortalité très important, la transportation en Guyane fut ralentie. En 1885, une loi contre les récidivistes, met en place la « relégation », c’est-à-dire une peine complémentaire a la prison, qui exile à vie en Guyane les multirécidivistes (y compris pour des fautes mineures).
Partant de Saint-Martin de Ré en Charente, les bagnards furent près de 70.000 à participer à tous les travaux de la vie courante dans la colonie. Mêlés à la population et contrôlés par un nombre insuffisant de surveillants (4000 bagnards pour moins de 200 gardiens en 1925), les bagnards tentaient de s’évader dés que possible. Les conditions de vie déplorables laissaient d’ailleurs peu d’espoir de vivre vieux (la moyenne de vie est estimée à cinq ans). Certaines années comptèrent jusqu’à 800 évasions vers le Brésil ou le Venezuela. Au total, près de 9000 bagnards s’évanouiront de « la terre de la grande punition » : certains finirent « péons » en Amérique du sud d’autres dans le ventre des requins. Les gardiens, sous la responsabilité de la puissante Administration pénitentiaire partageaient pratiquement les mêmes conditions de vie que les condamnés. Cette promiscuité rendait ambiguës les relations entre les condamnés et leurs gardiens, mêlant cruauté et pitié, respect et trafic intéressé. Dans les années 30, après une campagne de presse particulièrement efficace d’Albert Londres, grand reporter au Petit Parisien et alors que les journaux du monde entier (surtout ceux des U S A) mettaient en cause ce système carcéral « odieux et rétrograde », le pouvoir politique mené par Gaston Monnerville, député de la Guyane, œuvre pour la suppression de cette institution. Lors d’une grande réunion, le Garde des sceaux, Marc Rucart s’exclame: « on peut condamner un coupable à la détention perpétuelle, à mort, mais notre cœur, notre sentiment intime, nos croyances diverses, notre christianisme, en particulier, nous interdisent de condamner aucun homme à descendre plus bas qu’il n’est ». Le 17 juin 1938, le président de la République Albert Lebrun signe un décret-loi mettant fin à la peine des travaux forcés dans les colonies. La seconde guerre mondiale empêcha sa mise en application, mais dés 1944, le général De Gaulle dépêcha un émissaire pour régler ce problème et fermer le Bagne. Le 1er Août 1953, les derniers témoins, bagnards ou surveillants rentraient en France avec l’aide de l’Armée du Salut sur le « San Mattes », un siècle après les premiers « transportés », le bagne était mort.