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Un parfum de bonheur

La collection France Demay,
Photographies d’un sportif ouvrier dans les années trente.

Un fonds photographique exceptionnel d’un ouvrier et sportif des années trente.
présenté pour la première fois présentée à Paris à la Galerie Intervalle pour le
Mois de la photo 2014
, il a fait l’objet depuis de nombreuse expositions et publications
pour toutes informations,  le site de la collection:http://collectionfrancedemay.com.
Cette collection a fait l’objet d’une communication et d’un article dans le cadre du Colloque International à l’Université de Bordeaux, « Héritage sportif et dynamique patrimoniale » / « Sport Heritage and Patrimonial Dynamics” en octobre 2018. publié aux Presses Universitaires de La Méditerranée, en 2022

A la veille de la seconde guerre mondiale, alors que les Jeux Olympiques de 1936 à Berlin s’organisent, des clubs sportifs d’ouvriers parisiens s’entraînent avec passion. Si l’on sent l’énergie d’un engagement sportif et politique sans faille, ces jeunes gens sont aussi dans l’exaltation des premiers congés payés. On les retrouve au stade, en montagne, se mesurant à la course ou au plongeon. Leurs convictions les conduiront à devenir membres de la FSGT et à participer aux Olympiades Populaires de Barcelone, en opposition aux Jeux de Berlin.
Parmi eux, un témoin, France Demay. Amateur autant sportif que photographe, cet ouvrier qualifié photographie avec spontanéité et un réel sens du cadrage son entourage, captant des instants de bonheur comme un témoignage d’une époque où l’on veut croire en une vie meilleure.
Ce regard singulier, populaire, à la fois intime et historique serait un peu le pendant des images saisies par Jacques-Henri Lartigue tant sa capacité à les faire résonner dans notre mémoire personnelle et collective est forte. Il se révèle être une formidable témoin de valeurs sociétales qui construisent encore notre société aujourd’hui.
F. Demay compose des images à la fois émouvantes, graphiques et symboliques, nous donnant en partage tout l’enthousiasme pour une vie pleine de promesses.

Pierre-Jérôme Jehel / Françoise Agnelot

Collection F. Demay
Cette collection est riche de plus de 600 plaques de divers formats (9 x 12 cm notamment) et de films acétate (6×9, 6×6, 3×4 cm)
Lors de sa première présentation,  elle a fait l’objet d’une numérisation et d’une restitution numérique par tirage Jet d’encre (encre pigmentaire) sur papier Hahnemuehle Grâce au soutien de l’Atelier Iconogène, de Gobelins l’école de l’image et de la FSGT (Fédération Sportive et Gymnique du Travail)

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Une mémoire en image
Proust voyait en la photographie «une métaphore de la mémoire involontaire», cette mémoire personnelle qui advient à la rencontre d’un élément extérieur cristallisant le souvenir. Mais au-delà des souvenirs de chacun, les images photographiques qui fascinaient l’écrivain étaient celles d’une inscription naturelle de l’air du temps, de l’esprit d’une époque sur les plaques sensibles. Comme si la lumière ne se contentait pas de transmettre des images, ou que la photographie avait le secret de capter au-delà du visible. Les images que nous proposons de découvrir sont de cette nature.
A la veille de la seconde guerre mondiale, alors que les jeux olympiques de 1936 à Berlin s’organisent, des clubs sportifs d’ouvriers parisiens s’entraînent avec passion. Dans l’énergie d’un engagement sans faille, autant sportif que politique, ces jeunes sportifs se retrouvent, au stade, en forêt, en montagne, à vélo, à la course, en plongeant, en nageant.
Parmi eux, un témoin photographe. Amateur autant sportif que photographe, c’est-à-dire amoureux de ces activités, mais n’en faisant pas sa profession puisqu’il est ouvrier spécialisé.
Il photographie ses amis, sa famille, dans une immersion avec cette découverte du corps sportif, d’un environnement naturel qui tranche avec la banlieue parisienne. Il capte le bonheur de sa vie personnelle et d’une époque où l’on veut croire en une vie meilleure tant espérée.
En parcourant ces images, se révèle une formidable mémoire de ce qui n’aurait pu être qu’une histoire familiale des années 30 mais qui là, s’entremêle intimement avec les grandes heures du Front Populaire, avec l’histoire ouvrière et ses nouveaux acquis sociaux, avec l’émergence de la Fédération Sportive et Gymnique du Travail dont ces jeunes gens étaient membres. Cet engagement les conduira aux Olympiades Populaires de Barcelone, organisés en opposition aux Jeux de Berlin qui donnèrent une saisissante vitrine à l’Allemagne nazie. Dans les interstices de ce bonheur capté avec fraicheur, se lit l’engagement politique en ces sombres heures de la montée du fascisme…
La valeur photographique de ce fond exceptionnel de plusieurs centaines d’images dépasse le témoignage individuel. Il documente un épisode méconnu de cette période par un regard spontané sur un moment de vie personnelle qui prend une valeur collective. L’opérateur a un sens aigu du cadrage et une conscience des heures d’exception qu’il vit. L’exception de moments intenses des joies d’une famille et d’une vie collective pleine d’entrain, probablement aussi la conscience de vivre des heures historiques. Les grandes manifestations du Mouvement Social Ouvrier de 1936 habitées par l’utopie communiste apparaissent dans des images d’une grande force instinctive: le photographe est parmi les manifestants, porté par la clameur, accompagnant sans le savoir les grands photographes témoins de ces moments illustres, Doisneau, Ronis, Cartier-Bresson, Capa.
C’est cette ambivalence des photographies que nous cherchons à montrer, à la fois récit de vie et force symbolique car ces photographies ont la faculté de porter une mémoire collective à travers le récit d’une vie particulière.

La puissance de l’amateur
Libéré de toute contrainte professionnelle, l’amateur photographe peut être porté par une inspiration déroutante. Nombreux exemples ont ainsi franchi le cap de la célébrité, dont la plus récente Vivian Maier démontre à quel point la photographie réserve encore de sublimes mystères. De telles productions réalisées «en marge des territoires sociaux de l’art et de la photographie» (A.Rouillé) bousculent les idées reçues et ouvrent de nouvelles perceptions.
Le renouvellement de l’histoire de la photographie ces dernières années a été marqué par l’intérêt porté sur des pratiques sociales au-delà des pratiques artistiques. Les amateurs sont apparus comme un élément incontournable de la création photographique. Dégagé de contraintes commerciales et hors des influences artistiques, les images d’amateurs nourrissent de nouvelles formes esthétiques et éclairent des zones «hors-champ» de représentation, habituelles de nos sociétés.
Ici, la spontanéité est totale, le photographe n’hésite pas à déclencher quelques soient les conditions, il échange naturellement avec ses modèles qui sont ses amis, il compose simplement les images. Cette simplicité donne de la modernité, car il ne cherche pas à «bien faire», à entrer dans tel ou tel «style». La vie défile: l’énergie des corps, la bonne humeur des sourires, le chatoiement des espaces naturels. De la forêt de Fontainebleau aux glaciers alpins, l’environnement joue un rôle primordial. On sent la joie d’explorer un monde inconnu jusqu’ici, une ivresse de franchir les limites de la ville, et peut-être les limites physique de son corps.
Ces images nous touchent, car cette proximité des visages captés, cette boulimie photographique nous sont familières. Le lien avec les pratiques photographiques contemporaines est immédiat: l’appareil est partout, il capte l’ordinaire et l’exceptionnel, il est prétexte à jouer ou à se surpasser, il retient le meilleur et délaisse l’ennui. Ainsi pour trouver le caractère historique de ces images, il faut dessiner l’histoire de ces images dans la pratique d’un amateur passionné pour qui la photographie est une pratique sociale et un moyen ludique de garder en souvenir des moments heureux.
Cet amateur photographe s’appelle France Demay, il était ouvrier spécialisé dans la mécanique de précision et  habitait Le Pré Saint Gervais. Passionné de sport dès l’adolescence, il était membre du «club pédestre de l’étoile rouge» et de la FSGT (Fédération Sportive et Gymnique du Travail) ce qui lui a permis de participer régulièrement aux activités et aux sorties sportives qu’elle organisa jusqu’en 1939.  C’est dans cet univers sportif qu’il rencontrera sa femme,  aussi passionnée que lui et très présente dans cette collection de photographies.
La photo et le sport seront les deux passions qu’il partagera avec cette famille qu’il s’est choisie.

Esthétique des corps
Le sujet du sport et de la gymnastique traverse toute cette collection. Le corps est sculpté par l’exercice, mais il se développe dans un bien-être essentiel. La nature est fortement présente, tel un appel vers un monde non détruit pas les ativités humaines où l’on peut donc se ressourcer. Les circuits touristiques sont perçus, mais les sites de promenades ou de campings sont au plus proche d’une nature « sauvage ».
Mais au delà de ce corps physique, émerge un corps «social». La performance individuelle est revendiquée, mais passe clairement au second plan devant le groupe. Les corps se réunissent pour la pose ou pour la figure de gymnastique. La photo de groupe est une figure récurente, avant puis après la performance sportive. Ces nombreuses photographies où le groupe est réuni expriment à chaque fois une vie collective intense. En ce sens, l’engagement politique et sportif se rejoignent dans ces images où les valeurs du partage et du collectif sont permanentes.
Dans le groupe, le photographe est un personnage non pas seulement témoin, mais acteur du jeu: à la fois on sent qu’il participe au mouvement, mais aussi il canalise l’attention, crée des réactions face à l’objectif. Son regard est cependant très libre car si il opère sur commande de l’événement, c’est aussi sur son désir personnel, parfois avant l’épreuve où dans des instants de vie. Les corps sont alors en tension, en réponse au «paraître», soit en ordre ou en désordre. Le sens photographique du cadrage est soutenu par un sens de la mise en scène sportive, donnant lieu à une organisation graphique très structurée.
A cette mise en place spaciale s’ajoute un rythme temporel donnant un dynamisme à ce corpus: les préparatifs, les portraits avant l’action, la compétition sportive, la joie après l’effort. On perçoit bien ces séquences qui entrainnent des changements d’attitudes, de positions et bien entendu d’apparence vestimentaire.
Le groupe se réunit à chacune de ces événements sportifs puis se disperse dans le quotidien du travail ouvrier qui échappe au photographe.
Au de-là des gestes sportifs, parfois saisissants, figés dans l’effort, c’est l’alternance entre le «moi» et «groupe» qui est ici permanente. La question des représentations sociales du corps et de la personne traversent tout ce fonds photographiques, renforcé par les changements de décors entre la ville, le stade et les espaces naturels.
Traces du temps
Donner à voir des photographies d’archives est toujours une question délicate: doit-on améliorer leur qualité pour une meilleure visibilité ou conserver leur état original par souci d’exactitude documentaire ?
Sans entrer dans les détails trop techniques du travail sur un fonds ancien, nous souhaitons sensibiliser à la question de la communication de ces images et leur restauration éventuelle.
Dans notre cas, les originaux étant uniquement des plaques ou films négatifs, nous ne disposons d’aucune référence originale de tirage. Leur amélioration ou leur interprétation dès l’étape de la numérisation est immédiate. Nous avons opté cependant pour une correction légère des images: poussières, amélioration des contrastes, élimination de défauts extérieur.
Mais l’interprétation s’arrête là, certaines détériorations sont maintenant inscrites dans l’image, elle viennent constituer une sorte de palimpseste qui appartient à la signification de l’image.
Nous mettons à profit cette numérisation pour engager un travail de sauvegarde et de documentation du fond, ainsi qu’une observation en détail des images.
En effet au de-là des questionnements sur la nouvelle nature des images numériques, il est frappant que leur manipulation amène à une nouvelle exploration des images. L’oeil peut plonger dans chaque détail, offrant une observation « millimétrique » qui était délicate auparavant et amène par là un renouvellement du regard sur les images photographiques.

Pierre-Jérôme Jehel, octobre 2014

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