la villa Les Roches brunes, l’observatoire

L’Observatoire ,
la villa Les Roches brunes à Dinard

 

La villa m’est apparue comme un observatoire.
Elle regarde le monde, les phénomènes de la mer et de la terre. Elle projette son point de vue
vers l’horizon, vers son jardin tout proche et résonne des bruits de la plage et du rivage.
J’ai arpenté les salons luxueux et les terrasses, puis exploré les lieux cachés aux regards des
visiteurs: escaliers, couloirs dans la pénombre des sous-sols, chambres du personnel domestique, souvenirs d’un passé à peine oublié.
Les images extérieurs se mêlent avec la mémoire des lieux. Telle une immense chambre noire, la villa recueille ces images du dehors que le promeneur découvre émerveillé. La lumière se projette dans les espaces intérieurs et guide notre œil.
La photographie convoque ici ses origines optiques pour partager une expérience
visuelle d’un regard en déplacement.
Pierre-Jérôme Jehel, janvier 2019

Cette série a été réalisée dans le cadre d’une commande pour la Ville de Dinard.
Elle a fait l’objet d’une exposition en octobre-novembre 2019 dans le cadre des Journées Nationales de l’Architecture à la Villa Les Roches Brunes.
L’auteur tient à remercier la Ville de Dinard et les services qui l’ont accompagné et particulièrement Amélie Collot-Hommette, Elsa Leborgne, Alice Corbel et Fabrice Poulizac.

un texte à propos de ces images:

L’observatoire observé.
par Corinne Feïss-Jehel, géographe,
École Pratique des Hautes Études

Roches Brunes, paysage d’intérieur battu par la mer. Les vagues de la Manche s’épuisent éternellement sur les brisants et l’eau ranimée en permanence par les puissants courants de marée dessine le paysage de la côte. L’horizon s’enfuit depuis la basse terrasse au carré bleu tandis que le regard dans sa course pour le rattraper s’accroche et bute sur le dédale d’îlots: Cézembre, le Grand Jardin, les Cheminées, la Conchée, le Haumet, le petit Buzard, Harbour, les Ouvras, le Buron.
D’où reviennent ces escaliers si pétrifiés par le temps, longeant la haie comme par une habitude de jadis. Le temps serait-il suspendu quand le regard est captif ? Le regard pris dans la ligne imaginaire de l’horizon y revient-il quand la brume descend et lisse la distance irréelle ? De cette ligne au dépouillement absolu, l’attente peut s’éterniser. Le paradoxe d’un vide complet s’interpose entre les côtes de la Manche et la vue panoramique se heurte aux rivages intérieurs qui effleurent le parapet des Roches Brunes. Le songe optique offre un sursis en déployant un territoire intérieur. Au sortir de l’escalier, les terrasses apparaissent comme les ponts d’un navire, observatoires immobiles du voyage. L’heure visuelle de l’objectif tend à nous faire glisser vers ce que nous ne voyons pas. Les espaces inconnus nous sont pourtant si familiers.
Observatoire observé, les lumières se diffractent sur les objets, chaque point vibre d’un éclat du dehors. Le porte manteau reflète la lumière tamisée du vitrail, des puits de lumière se glissent par les toits. La loupe de l’objectif les absorbe dans leur trajectoire tandis que la vague rencontre la roche. Sur le chemin conduisant à la passerelle supérieure, le double jeu créé par la lumière et l’architecture enchevêtre surface et profondeur.
L’horizon en demi-sphère vu de la terrasse se replie et se heurte sur le dispositif géométrique des pièces. Nous suivons le cheminement de l’intérieur par les manifestations optiques. Les échos, les résonances, les reflets s’entrecroisent et se succèdent. Les photographies défilent furtivement comme si nous pénétrions sur les territoires du souvenir. Images un instant immobilisées dans le miroir du passé et dans un même temps rébellion esthétique de ce qui ne se montre pas. Transfiguration de l’objet vers une route imaginaire qui définit
les passages entre les espaces sans jamais donner l’impression d’un arrangement aléatoire. Sols, plafonds, portes s’éloignent du réel ordinaire. Indifférents à la tyrannie des stéréotypes, ils appareillent pour le voyage.
Tout s’oppose aux communs de l’objet en nous montrant en filigrane ce que nous voyons par une conscience affective. Le sentier des Roches Brunes est celui des replis, de l’intériorité, de l’intimité des angles, nous quittons la rationalité euclidienne pour l’étoilement multiple et la mise en fragmentation. Les détours renvoient au louvoiement entre les îlots pour attraper la passe. Un certain nombre d’objets viennent à la rencontre du regard.
L’itinéraire électif emprunte la lumière pour ébranler l’esprit. Tout comme l’espace du large déployé jusqu’à l’horizon, l’itinéraire intérieur entre en résonance avec l’esprit du voyageur.
La lentille nous retourne l’image comme un sablier. Être attentif aux termes les plus anodins, ceux dont l’usage semblait être l’unique raison, voici les termes du voyage.
Image métonymique du globe terrestre qui suggère la vision des lointains sur le plan horizontal et la courbure terrestre qui impose ses déformations.